Un temps d’« épreuves »

Les sept Église

Les sept Églises d’Asie, tapisserie de l’Apocalypse, Angers

Jean ne fait pas mystère du contexte qui l’amène à écrire son œuvre. Il se présente d’emblée à son auditoire comme « votre frère et compagnon dans l’épreuve… » (1,8), et on apprendra plus tard que « la foule immense, que nul ne pouvait dénombrer » (7,9), celle des vainqueurs de la Bête, vient « de la grande épreuve » (7,14). Le mot grec employé par Jean peut se traduire aussi bien par tribulation ou par oppression. La situation est grave et le caractère hautement dramatique des cinq chapitres évoqués plus haut en témoigne éloquemment.

De quelle « épreuve » s’agit-il donc? Rappelons tout d’abord que l’Apocalypse a été rédigée vers la fin du premier siècle de notre ère, soit vers 95, sous le règne de l’empereur Domitien. Rappelons également que l’Apocalypse est adressée à des communautés chrétiennes d’Asie Mineure, sept au total, et toutes de jeunes communautés comptant à peine deux générations d’existence.

L’épreuve extérieure : l’Empire romain

L’épreuve vient d’abord de l’extérieur, du pouvoir politique dominant de l’époque, qui est celui de l’Empire romain, l’un des plus vastes et des plus tentaculaires qui ait existé au cours de l’histoire. Les chapitres 12 à 18 en particulier décrivent la tyrannie de ce pouvoir en le présentant sous l’image de bêtes monstrueuses et sanguinaires (dragon, bêtes de la mer et de la terre). Le pouvoir impérial romain de l’époque, détenu par Domitien, revendique une soumission absolue et ne tolère aucune opposition : il faut « adorer l’image de la Bête » et « porter la marque de son nom », sinon c’est l’anéantissement social, l’emprisonnement ou la mort.

La protestation de Jean à ce chapitre est on ne peut plus claire et reflète parfaitement celle des nombreux martyrs chrétiens qui ont refusé d’« adorer l’image de la Bête » et de dire « César est Seigneur ». La divinisation du pouvoir politique et de ses représentants n’est rien de moins qu’une aberration pour quiconque, comme Jean et sa communauté, croit que « la royauté du monde est acquise à notre Seigneur ainsi qu’à son Christ… » (11,15). La pression et l’oppression viennent du pouvoir politique de l’époque. Mais le sort ultime des martyrs qui « ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau », est aussi celui du Christ, « le témoin fidèle, le Premier-né d’entre les morts, le Prince des rois de la terre » (1,5).

L’épreuve intérieure : les défis de l’Église

L’épreuve vient aussi de l’intérieur, comme on peut en juger par les messages adressés à chacune des sept Églises (chapitres 2-3). N’oublions pas que c’est le Christ qui, dans ces deux chapitres, s’adresse directement à chacune des sept Églises : Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée.

Les messages adressés aux Églises n’ouvrent la porte que très discrètement sur la vie concrète de ces Églises, mais juste assez pour qu’on perçoive les principaux défis qu’elles devaient relever : discernement des vrais apôtres, fidélité à l’évangile, rapports avec les Juifs, emprisonnement et mises à mort de certains des leurs, confrontation au culte de l’empereur et aux religions à mystères des Grecs, attitude à prendre devant la viande immolée aux idoles, tiédeur. Bref, les jeunes communautés d’Asie Mineure ont fort à faire pour rester à la hauteur des exigences de l’évangile du Christ.

Un ton de courage, de vigilance, de discernement et d’espérance

Je termine en attirant votre attention sur le ton de l’Apocalypse. Au plus fort des assauts de la Bête (chapitre 13), Jean appelle d’emblée au courage, à la vigilance, au discernement et à l’espérance tenace : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende !… Voilà qui fonde l’endurance et la confiance des saints » (13,9-10). C’est le temps non pas de la peur, de la résignation ou de la désespérance, mais bien de la confiance, de l’endurance et de l’espérance.

En bon prophète qu’il est, Jean dénonce le non-sens des prétentions de la Bête et des ravages meurtriers qu’elle sème autour d’elle. Mais il ne se contente pas de dénoncer. Il sait aussi parsemer son livre de visions de salut centrées sur le Christ en gloire (chapitres 1, 5, 7, 11, 14, 15, 19, 20, 21, 22).

Deux cris remplis d’espoir

L’Apocalypse peut se résumer en deux cris : « Christ est Seigneur », un cri de foi qui réfute à lui seul les prétentions de l’empereur, et « Viens, Seigneur Jésus! » qui dit la ferveur de l’espérance des chrétiens, toute entière tournée vers le retour du Christ en gloire, au moment connu de Dieu seul. Loin d’être la fin du monde, ce moment est celui où Dieu crée, « un ciel nouveau, une terre nouvelle » (21,1). La fin devient commencement éternel!

Jean-Pierre Prévost

Source : Parabole 28/1 (2012) 5-6.

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