Les auteurs des lettres du Nouveau Testament ne sont pas toujours ceux à qui on les attribue et ce, pour plusieurs raisons. Les anciens n’avaient pas la même notion que nous, modernes, à propos des droits d’auteur et de propriété intellectuelle individuelle. Ils étaient beaucoup plus communautaristes. Une vérité était toujours bonne à reprendre et à diffuser, surtout si elle venait d’une autorité reconnue. Il arrivait qu’on reprenne à son compte les propos d’autrui sans le nommer. Nombreux textes du Nouveau Testament reprennent des versets ou des bouts de versets de l’Ancien, sans toujours préciser la source. Le procédé est si répandu que certains livres comme l’Apocalypse de Jean paraissent une mosaïque d’emprunts à l’Ancien Testament.
Les auteurs bibliques croient que Dieu parle toujours, mais en continuité avec son message de jadis. La reprise de textes passés et leur « actualisation » dans de nouveaux contextes se fait par souci de fidélité à la Parole de Dieu, dont les auteurs bibliques se veulent les interprètes prophétiques. Ils ne choisissent pas la voie de la facilité par la « copie »; ils s’imposent plutôt la responsabilité de continuer « dans le même sens », en adaptant le message aux nouvelles situations et circonstances.
Les lettres de Paul de Tarse sont les premiers écrits chrétiens que nous ayons gardés. En les lisant avec attention, il devient évident que Paul a recours aux services d’un secrétaire :
« Je vous salue dans le Seigneur, moi Tertius, qui ai écrit cette lettre. » (Romains 16,22)
« La salutation est de ma main, à moi, Paul. » (1 Corinthiens 16,21 : donc le reste est d’une autre main)
« Voyez avec quels gros caractères je vous écris de ma main! » (Galates 6,11 : à la fin de la lettre, pour y apposer sa signature en quelque sorte)
Certaines lettres sont écrites en équipe, on l’oublie trop souvent :
« Paul et Timothée, esclaves de Christ Jésus, à tous les saints en Christ Jésus qui sont à Philippes. » (Philippiens 1,b1)
« Paul, Sylvain et Timothée, à l’Église des Thessaloniciens. » (1 Thessaloniciens 1,1).
Avec le temps, secrétaires et collaborateurs ont pu produire de nouvelles versions des lettres pauliniennes (Éphésiens reprend Colossiens; 2 Thessaloniciens semble rajuster le tir de 1 Thessaloniciens) ou encore produire des lettres posthumes qui célébraient l’héritage de l’apôtre (1-2 Timothée; Tite). Dans un sens, saint Paul est plus grand et prolixe que juste Paul de Tarse!
Les spécialistes scrutent chacune des lettres et les classent selon un ordre chronologique hypothétique, en remarquant les allusions aux événements, en observant des changements de préoccupation ou de style. Les experts ne s’entendent pas toujours sur la liste exacte des lettres posthumes, mais les lettres de Paul incontestées demeurent 1 Thessaloniciens, 1-2 Corinthiens, Philippiens, Philémon, Galates et Romains.
Les autres lettres ne sont pas disqualifiées parce qu’un doute subsisterait sur leur origine de la main de Paul de Tarse. Non seulement elles sont considérées Parole de Dieu pour l’Église, mais encore elles sont tout à fait pauliniennes dans leur théologie et elles font entièrement partie de l’héritage spirituel de l’apôtre, un héritage que ses secrétaires et collaborateurs auraient voulu prolonger et adapter aux besoins des générations suivantes.
Le cas de figure de Paul nous permet de considérer les autres lettres du Nouveau Testament dans le même esprit : pas toujours de la main de l’auteur auquel elles ont été attribuées par la Tradition, mais toujours fidèles à préserver un héritage spirituel particulier de la première génération de disciples. Déterminer lesquelles sont plus anciennes et originales et lesquelles sont plus récentes ou « pseudépigraphes » (rédigées au nom et en l’honneur d’un apôtre) est une affaire de spécialiste. Les recevoir toutes comme la conversation vivante de Dieu avec son Église, au-delà de la mort des auteurs de chair, c’est l’affaire de nous tous, croyantes et croyants.